Archives de catégorie : Coups de coeur

Les étoiles s’éteignent à l’aube

les étoiles s'éteignent à l'aube

Richard WAGAMESE appartient à la nation amérindienne ojibwé originaire du Nord-Ouest de l’Ontario.  Il a déjà écrit une dizaine de livres et son dernier roman  est le premier à être traduit en français.

C’est l’histoire d’une longue marche, dans le grand Nord canadien, d’un fils et de son père mourant. Franklin et Eldon ne se connaissent pas. Franklin a été élevé par un vieil homme qui lui a appris le travail de la ferme. Son père, alcoolique, n’a fait que de brèves apparitions dans sa vie. Cependant, il lui demande de le conduire au cœur de la montagne afin d’y mourir et d’y être enterré assis, comme les guerriers objiwés dont ils sont les descendants.

C’est la rencontre tardive de ces deux hommes, avec l’évocation du passé, de la pauvreté, du travail saisonnier toujours mal payé. Et puis il y a les non-dits, les blessures, les remords noyés dans l’alcool, la haine de soi du père, la colère du fils….

D ‘une écriture sobre et concise , Richard WAGAMESE nous plonge dans ce récit d’un ultime voyage au sein d’une nature sauvage et de vies rudes.
Un roman qui se lit d’une traite et avec beaucoup d’émotion.

N’approchez pas de l’île Dawson

ile Dawson

Guide de haute montagne et cameraman, Denis Ducroz, fort de ses expériences en tant que cinéaste, nous propose ici un premier roman dont l’action se passe en Patagonie Chilienne à l’époque de la dictature de Pinochet.

Une poignée d’aventuriers embarque sur un voilier pour explorer les montagnes australes et gravir le Cerro del Viento, un sommet jamais atteint. Narré par un cinéaste, nous suivons sa caméra dans le huis clos du voilier, nous subissons avec eux le vent, le froid, la violence des courants à travers les entrelacs des canaux, d’île en île, jusqu’à ce que le voilier accoste près d’une épave où l’on découvre deux rescapés. On apprend alors que ce sont deux évadés de l’île Dawson, une prison pour les opposants au régime du Général Pinochet. Cette découverte va engendrer une discorde entre les passagers du voilier partagés entre la perspective de  poursuivre leur route pour réaliser leur exploit ou de porter secours aux naufragés. Le récit vire ensuite au thriller lorsque le voilier est accosté par une vedette de la marine chilienne dont l’inquiétant officier va jouer de son autorité pour intimider les passagers du voilier. Que va-t-il se passer ? Quel sera le sort des évadés ?  celui de l’expédition ?

Vous le saurez en lisant ce livre à l’écriture plaisante, un vrai souffle d’aventure

Trois jours avec Norman Jail

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Clara, étudiante en littérature, est intriguée par un étrange écrivain : Norman Jail auteur d’un seul livre : « Qui se souviendra de nous ? ». Écrit dans sa jeunesse pendant la  dernière guerre mondiale, ce livre plein de promesse n’avait été suivi d’aucune autre parution. Cet écrivain apparemment stérile avait, en fait, passé sa vie à noircir des milliers de pages dont aucune n’avait été publiée mais étaient conservées dans des bibliothèques vitrées à l’abri de la poussière.

Introduite auprès de ce vieil homme par son amie, fille de son infirmière, elle est acceptée sous le prétexte d’un mémoire. Norman  s’y prête volontiers et même, ce reclus sans amis prend plaisir à parler avec la jeune femme et l’invite à sa table puis à résider dans sa demeure, Madeleine la gouvernante assurant l’intendance.

« Je n’ai fait qu’écrire »….et c’est de cela que s’entretiennent pendant trois jours le vieil homme et la jeune fille .Celui-là lui confie alors  en lecture un roman dont il n’a jamais pu écrire la fin : il s’agit d’une succession de premiers chapitres, variations autour de trois personnages. Ce n’est qu’à la toute fin du roman que cette étrange situation s’éclaircira.

Avec une écriture magnifique  car rien du travail qu’elle a nécessité ne se voit, Eric Fottorino nous parle de la difficulté des liens familiaux et nous fait entrer avec justesse et finesse dans l’intimité de la création littéraire. Un magnifique roman où les amateurs de littérature trouveront leur compte.

 

LE GOUT DU LARGE

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Nicolas Delesalle nous invite à embarquer avec lui sur le MSC Cordoba pour une croisière pas comme les autres. Ici, pas de paquebot de luxe avec piscine et animations, mais un porte conteneur de 1269 boîtes hermétiquement fermées dont l’équipage ignore le contenu. Au gré d’une navigation de neuf jours, l’auteur va ouvrir pour nous les conteneurs de sa mémoire et nous proposer un retour sur ses expériences en tant que grand reporter.

« Le cargo commence à me digérer. L’océan me dissout peu à peu. Je ne vérifie plus l’état du réseau sur mon téléphone portable. Je ne cherche plus à m’occuper l’esprit. Le voyage commence vraiment maintenant »

Tout en partageant le quotidien du cargo et de son équipage aux nationalités diverses, il se replonge dans ses souvenirs et nous emmène ainsi de Tombouctou aux clameurs de la place Tahir, de l’Afghanistan au Niger en passant par l’Egypte, le Sénégal, la Syrie et d’autres lieux pour nous raconter l’histoire de notre monde. A travers les anecdotes, les faits historiques, les émotions et les échanges avec les marins qui l’entourent, nous voyageons les yeux rivés sur l’océan qui ouvre les horizons. Nous refermons ce livre avec l’impression d’avoir parcouru un monde en mouvement et plein d’humanité en dépit des fragilités et des conflits qui l’agitent. Un beau voyage.

Nicolas Delesalle, né en 1972, est grand reporter à Télérama et auteur de nouvelles qui lui ont valu le Prix des Lecteurs du livre numérique en 2013. Un parfum d’herbe coupée est son premier roman.

En attendant Bojangles

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Voilà un premier roman qui nous conte une histoire d’amour fantasque au son d’une chanson de Nina Simone, « en attendant Mr Bojangles », une histoire pétillante comme une bulle de champagne.

C’est l’histoire d’un couple qui refuse l’ennui et la routine, l’histoire d’un amour fou entre un homme et une femme racontée par leur fils à qui sa mère apprend à nier la réalité pour faire de la vie une fête. Louise et Georges dansent jour et nuit dans leur immense appartement en buvant des cocktails colorés sous l’oeuil admiratif de leur fils et de Melle Superfétatoire, une grue de Numidie qui glisse sur le parquet en criant très fort. La mère est le personnage central de ce court roman. L’histoire est d’abord racontée par le fils admiratif de ses parents et ensuite par le journal du père sur un autre ton où perce l’inquiétude

C’est l’histoire d’une petite famille qui vit entre Paris et leur « château en Espagne » et qui s’invente une vie pour dompter la folie. Le courrier s’entasse dans l’entrée comme pour nier le temps qui passe et les réalités des contraintes sociales. Il arrive un jour où tout bascule quand la folie s’installe et les contraint à la fuite. Une folie douce, joyeuse, un texte vivifiant qui raconte une formidable histoire d’amour et où le rire se mêle à l’émotion.

Pirates

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Ce n’est qu’à la fin de l’histoire de sa vie que Tony, jeune homme issu d’une famille de forains, nous parlera des pirates de Somalie et des déchets toxiques que le tsunami a laissé sur les côtes de l’Afrique de l’ouest.

Rien dans son histoire ne le « prédestinait » à être confronté à ce drame. Issu d’une famille de forains, passionné de musique, trompettiste de jazz, il quitte les rivages de la mer du nord pour rejoindre Marseille avec l’espoir d’y exercer son art, ce qu’il fera un temps aux côtés d’Awa, la soprano sud-africaine. Il côtoie divers mondes, celui de la survie, des petits trafics, mais aussi de la bourgeoisie qui utilise ses talents de musicien pour se distraire. C’est Max Opale, ancien militaire expert en balistique qui l’introduira dans ce milieu et lui présentera Awa avec laquelle il partage sa vie. Rival mais aussi mentor, c’est Opale qui initiera Tony à la violence de nos sociétés.

Dans ce court roman à l’écriture fluide, la musique, l’opéra jazz sont à l’arrière- plan de cette fresque sociale. À travers l’amitié de deux hommes que tout sépare, à part l’amour de la musique et de la chanteuse Awa, Fabrice Loi raconte le grand mépris de l’Occident envers l’Afrique – et le scandale des déchets balancés sans égard dans les flots de l’océan Indien.

L’intérêt de l’enfant

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Fiona Maye est juge aux affaires familiales. C’est une femme d’une soixantaine d’années, expérimentée et très appréciée de ses collègues et de sa hiérarchie. Un dimanche soir, alors qu’elle est de garde chez elle, Fiona doit traiter en urgence une affaire grave  : Adam Henry, un jeune homme de 17 ans et 9 mois atteint d’une leucémie, refuse par conviction religieuse de recevoir une transfusion sanguine. Ses parents et lui-même sont Témoins de Jéhovah. L’hôpital a donc saisi la justice pour tenter de sauver l’enfant, qui mourra s’il n’est pas transfusé au plus tard le mercredi.
Il se trouve que ce même dimanche, Jack, son mari, décide de la quitter après vingt ans de mariage.
Durant les trois jours précédant sa décision, Fiona s’efforce de ne pas laisser ses interrogations sur sa vie conjugale interférer avec les auditions des parents, des médecins et du jeune Adam. Mais sa décision, une fois prise, va avoir des conséquences tellement inattendues que cette femme qui maîtrisait parfaitement sa vie va peu à peu glisser dans un comportement beaucoup moins contrôlé, à la limite de l’ambigüité.

 Le titre de ce roman, L’Intérêt de l’enfant, est une référence directe à l’article 18 de la Convention internationale des droits de l’enfant, outil juridique sur lequel la juge Fiona Maye s’appuie pour rendre sa décision.
Derrière le débat juridique, ce sont des questions éthiques et philosophiques (« La société a-t-elle le droit d’empêcher quelqu’un de mourir au nom de ses convictions religieuses ? ») que Ian McEwan soulève. Mais il le fait en les insérant habilement dans la trame d’une vie quotidienne, leur donnant ainsi force et émotion jusqu’à nous faire douter de nos propres convictions. De son écriture dense et précise, il nous confronte avec nous-mêmes par une plongée inattendue dans l’intimité de la justice.

 Un livre original comme tous ceux de Ian McEwan, bref mais percutant, dont on ressort aussi ébranlé que la juge Fiona Maye.

VENUS d’AILLEURS

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Venus d’ailleurs est le deuxième roman de Paola Pigani. Fille d’émigrés italiens, elle passe son enfance en Charente puis s’établit à Lyon où elle campe ce très court roman sur les réfugiés – thème actuel par excellence.

En 1999, Mirko et sa sœur Simona, deux Albanais d’une vingtaine d’année, fuient leur pays déchiré par la guerre. Après bien des péripéties, ils atteignent la ville de leur choix : Lyon. Tous deux partagent la même histoire, et pourtant leur rêve de France est loin d’être semblable.
Simona trouve rapidement un travail. Elle apprend le français et surmonte les difficultés administratives tout en nouant de solides amitiés. Mirko, lui, jeune homme taciturne et solitaire, vit dans la nostalgie de son pays. Il travaille sur les chantiers, où le langage utilisé est international. La nuit,  il va crier sa rage et sa douleur en peignant des graffs dans des zones abandonnées de tous. Il y rencontre des marginaux et découvre parmi eux une jeune femme avec laquelle il essaye de tisser une histoire d’amour fragile.
Ce roman à l’écriture poétique, d’une extrême sensibilité, a un ton très juste et un style incisif pour décrire des personnages très attachants et leurs difficultés d’intégration. Dans de brefs chapitres, Paola Pigani dépeint avec délicatesse chaque nuance de l’exil, le hasard des rencontres, des portraits d’habitants finement ciselés en quelques phrases, le goût amer de la nostalgie avec en arrière-plan les beautés de la ville de Lyon.

L’auteure a eu l’idée de ce livre en rencontrant la famille d’un ami de sa fille. Le petit Kosovar de 7 ans semblait heureux alors que sur le visage des parents se lisait une douleur permanente. Une rencontre qui a ravivé pour l’auteure de nombreux souvenirs familiaux, notamment celui d’une grand-mère d’origine slovène et de ses parents, migrants de la première génération.

LIBERTALIA

Libertalia

Après la chute du Second Empire, la défaite de 70, la perte de l’Alsace- Lorraine et l’effondrement de la commune, la France se trouve dans une période critique mais très inventive : celle de l’Exposition universelle, de la construction de la tour Eiffel, de l’explosion de l’Art Nouveau….

1872 est la date butoir donnée par les Allemands aux « Optants» – ces citoyens alsaciens qui choisirent la nationalité française – pour quitter l’Alsace. Deux jeunes gens quittent donc leur Alsace natale pour se diriger, fidèles à leurs idéaux, vers la France, pays de la Liberté.
Baruch renie sa religion juive : il devient Bernard et transforme même son nom de famille pour le rendre plus français.  Alphonse, dit Fons, s’affranchit de sa famille bourgeoise pour suivre les idées libertaires de l’époque qui se répandent, notamment depuis la Commune de Paris.
Ces deux jeunes gens assoiffés de liberté essayent d’échapper à un déterminisme social très fort. Inspirés par les idéaux d’un pays mythique : Libertalia, pays en auto-gestion créé par d’anciens pirates à Madagascar, ils sont à la recherche d’une place dans la société. Grâce à ce roman, nous explorons une époque où prend fin le temps des révolutions et où nait la France d’aujourd’hui. Une époque riche industriellement et artistiquement, mais intolérante. On dénie aux Juifs (ce sera l’affaire Dreyfus) comme aux Alsaciens – dont l’accent, comme tout ce qui avait une relation quelconque avec l’Allemagne, était mal vu – le droit à la différence.

Michaël Hirsh, né en 1973, est l’auteur de cinq romans dont deux ont fait partie de la sélection du prix Fémina. Dans ce livre très court, il nous fait revivre cette période méconnue grâce à deux personnages aux idéologies soutenues. Mais la Liberté rêvée par l’époque n’est-elle pas une idole monstrueuse et creuse, un leurre en quelque sorte, qui a conduit cette époque directement à la Grande Guerre ?

L’IMPOSTEUR

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Javier CERCAS, écrivain et chroniqueur espagnol, nous présente dans son dernier livre une histoire vraie, « un roman sans fiction », dit-il.
Il nous raconte l’histoire d’Enric Marco. Héros national en Catalogne, véritable icône nationale anti-franquiste, celui-ci prétend avoir été interné dans le camp de Flossenfùrg en Bavière. En réalité, son voyage en Allemagne a été celui d’un travailleur volontaire.
C’est l’histoire d’un mensonge, mais un mensonge auquel tout le monde a cru pendant des années. L’histoire d’une extraordinaire mystification.
Octogénaire très médiatique, célèbre et adulé, Marco a donné des centaines de conférences, a été président de l’Amicale des déportés de Mathausen, a reçu des distinctions officielles, a été invité au parlement espagnol. Mais en 2105, un jeune historien scrupuleux, Benito Bermejo, révèle l’imposture : Enric Marco n’a jamais été prisonnier dans un camp de concentration.
Le scandale est énorme. Marco a réussi pendant des décennies à se faire passer pour ce qu’il n’était pas. Il a changé de nom, de ville, de métier, de femme, il s’est inventé une vie héroïque, un passé de déporté et de résistant anti-franquiste.

Pourquoi cet homme a-t-il menti ?
Pourquoi tout le monde l’a-t-il cru ?
Ce livre se présente comme une longue et difficile enquête.  » Je voulais y voir clair dans ce ramassis de mensonges », dit Cercas qui a effectué un long travail de recherche et  s’est entretenu plusieurs fois avec Enric Marco pour chercher à comprendre ce personnage complexe, incontestablement malin et séducteur.
Ce livre passionnant est également une réflexion sur l’Histoire récente de l’Espagne, sur la mémoire – forcément subjective – , sur l’amnésie collective, sur le mensonge et sur le rôle de l’écrivain qui navigue entre réalité et fiction, entremêlant le vrai et le faux.