Archives de catégorie : Coups de coeur

valet de pique

Andrew J. Rush est un auteur de romans policiers à succès qui publie aussi, sous le pseudonyme de « Valet de pique », des romans extrêmement violents, voire pervers. Personne, à part son éditeur, ne connaît l’identité du Valet de pique.
Jusqu’au jour où  Andrew  est accusé par une de ses voisines, une vieille femme un peu folle, d’avoir plagié ses romans à elle. Jusqu’au jour où la fille d’Andrew tombe par hasard sur un roman signé du Valet de pique, dans lequel elle reconnaît un épisode traumatisant de sa propre enfance.
Dès lors, son secret est menacé, ainsi que l’équilibre instable qu’il avait réussi à construire autour de sa double identité. Petit à petit, la personnalité inquiétante du Valet de pique tente de prendre le pouvoir sur Andrew Rush.

Sous l’apparence d’un divertissement qui démarre de façon légère, comme une parodie de thriller,  Joyce Carol Oates installe tout doucement un climat étrange, à la façon d’Edgar Poe. Avec beaucoup de subtilité, elle nous entraîne dans le marécage comme dit son personnage principal, c’est-à-dire dans les méandres de l’âme humaine. Et on retrouve ici les thèmes de prédilection de celle qui figure régulièrement parmi les lauréats du prix Nobel   : le thème du double, de l’identité flottante, de la folie. Il s’y ajoute ici une réflexion sous-jacente sur la création littéraire et sur le métier d’écrivain dont on découvre, justement, la face cachée assez peu reluisante.

C’est brillantissime, c’est drôle, surtout quand on sait que JC Oates publie, elle aussi, des romans policiers sous différents pseudonymes. Un vrai régal !

La ballade de l’enfant gris

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L’auteur, Baptiste BEAULIEU, est un jeune médecin généraliste qui signe avec La ballade de l’enfant gris  son troisième roman.

C’est l’histoire de Jo’, jeune interne en pédiatrie et de No’, un enfant de 7 ans atteint d’une maladie incurable. C’est aussi l’histoire de la maman, Maria, qui ne fait que de brèves apparitions à l’hôpital. Pourquoi ? Pour essayer de le découvrir, Jo part à sa recherche à Rome, puis à Jérusalem, sans se douter que ce périple va l’emmener sur les traces de sa propre vie.

Le sujet est grave mais ce livre n’est pas pessimiste. B. Beaulieu nous conte cette histoire émouvante avec beaucoup d’humanité, de délicatesse et d’humour. Les personnages sont attachants. Le récit, empreint de réalisme, est aussi plein de poésie. Il nous fait également réfléchir sur le jugement que l’on porte sur les autres car on ne connaît pas forcément ceux qui nous entourent et qui ont peut-être une part d’ombre en eux.

A découvrir absolument.

La Sonate à Bridgetower

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La Sonate à Kreutzer de Beethoven a-t-elle vraiment été dédiée au célèbre violoniste français Rodolphe Kreutzer ? Emmanuel Dongala, dont le dernier livre « Photo de groupe au bord du fleuve »  (élu meilleur roman français 2010 par la rédaction de LIRE) avait connu un succès mérité, découvre que cette sonate avait en réalité été écrite pour un jeune musicien aujourd’hui oublié qui s’appelait George Bridgetower, un mulâtre de père africain et de mère polonaise et c’est cette histoire peu commune qu’il nous invite à découvrir.

George Bridgetower a 9 ans lorsqu’il donne avec succès son premier concert à Paris, au Concert Spirituel aux Tuileries. Son père, Frederick de Augustus de Bridgetower, flamboyant personnage, est prêt à tout pour que son fils triomphe à l’instar du jeune Mozart. Arrivés dans la capitale en avril 1789 ils la quitteront après la prise de la Bastille pour se réfugier à Londres. Après maintes péripéties le talent de George sera reconnu et le Prince de Galles prendra le jeune violoniste sous sa protection après avoir fait expulser son père pour son inconduite et ses prises de position en faveur des droits des Noirs. A l’âge de 24 ans, en pleine possession de son talent, George ira revoir sa mère à Dresde et de là il gagnera Vienne où il rencontrera Beethoven qui composera pour lui sa fameuse « Sonata mulattica ».

 Emmanuel Dongala nous plonge avec ce récit dans le monde des Lumières car George va côtoyer des musiciens renommés comme Haydn et Haëndel  mais aussi Condorcet, Lavoisier sans parler du Chevalier de Saint George, d’Alexandre Dumas, de Jefferson ou Olympe de Gouge et Théroigne de Méricourt. Une fresque historique pleine d’érudition, une belle aventure où se mêlent musique, révolte et découvertes scientifiques. Un bonheur de lecture.

Tropique de la violence

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Voici Mayotte, le 101ème département français, situé dans le canal du Mozambique, une île qui ensorcelle par la beauté de ses lagons et de sa végétation luxuriante aux parfums d’hibiscus roses et de frangipaniers.

 Natacha Appanah nous révèle l’envers du décor en entrelaçant le destin de cinq personnages qui prennent tour à tour la parole qu’ils soient vivants ou morts. Stéphane, travailleur humanitaire en ONG, Sébastien, policier humaniste et Marie jeune infirmière qui a suivi son époux comorien. Celui-ci la quittera car elle ne peut avoir d’enfant mais elle adoptera et élèvera avec amour Moïse, personnage central du roman, ce bébé abandonné par sa mère à cause de ses yeux vairons. A l’adolescence Moïse se révolte lorsqu’il apprend la vérité sur ses origines et, à la mort brutale de Marie, il perd pied. Il tombe alors sous la coupe de Bruce, un jeune tyran de quinze ans qui règne en maître avec sa bande de voyous sur le bidonville au nom évocateur de Gaza : il se drogue, il est confronté à la misère et aux humiliations mais il n’oublie pas les jours heureux de son enfance et il apprendra à se battre parce qu’il n’a plus rien à perdre sinon la vie.

A travers cette histoire simple et tragique, l’auteure évoque, dans un style fluide, sensuel et coloré tout ce qui est au cœur même de notre monde confronté aux migrations et à l’identité. Il faut lire ce livre pour comprendre une jeunesse livrée à elle-même et la complexité des destins qui s’y croisent.

Natacha Appanah est mauricienne et journaliste et elle vit à Paris depuis 1998.

Voici venir les rêveurs

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Jende Jonga rêve … il veut quitter son village de Limbé au Cameroun et son rêve à lui c’est l’Amérique, celle qu’il a entrevue dans les films, à la télévision. Il s’embarque avec un visa touristique. Winston, un cousin, l’aide à trouver un emploi de chauffeur chez un banquier de Lehman Brothers. Il fait venir sa femme et son fils et ils s’installent à Harlem. Neni suit des études pour devenir pharmacienne, leur rêve semble se réaliser.

La chute de Lehman Brothers est dans l’air et Jende, en conduisant Clark, son patron, surprend bien des conversations. Il est médusé aussi par le comportement de cette famille si riche : le père n’a guère de temps pour sa famille, la mère sombre dans la solitude et l’alcoolisme et Vince, le fils aîné, quitte ses études pour aller méditer en Inde. Pour obtenir leur « Green Card », Jende et Neni s’en remettent à un avocat spécialiste du droit de l’immigration. Mais Jende perd son emploi ce qui va compliquer les démarches  et peu à peu l’African Dream va remplacer l’American Dream.

Le charme du livre vient de ce regard décalé, de cette confrontation entre le monde des nantis et celui des sans-papiers. La précarité semble même apporter plus de joie de vivre malgré les difficultés innombrables.

Imbolo Mbue a 33 ans comme ses personnages et, comme eux, elle est venue de Limbé en 1998 pour ses études, elle vit à Manhattan. Elle nous parle du rêve américain à une époque où le rêve d’Obama rejoint celui des héros du roman. Elle explore leurs parts d’ombre et de lumière  avec une écriture pleine de fraîcheur et d’énergie et nous offre un roman plein de générosité et d’empathie sur le choc des cultures et les désenchantements de l’exil : et si le bonheur était ailleurs ? Un roman agréable à lire.

Euphoria

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Nous sommes dans les années 30. Les anthropologues Nell Stone et son mari Schuyler Fenwick, dit Fen, étudient la vie des Tam, une tribu de Nouvelle-Guinée. Elle est américaine et a déjà acquis une notoriété certaine dans cette discipline récente qu’est l’anthropologie ; lui est Australien et entretient avec sa femme une forte rivalité professionnelle. Ils sont rejoints de temps à autre par un jeune anglais dépressif, Andrew Bankson, qui étudie une autre ethnie des rives du fleuve Sepik, les Kiona.
Tous trois aiment confronter leurs travaux, d’autant plus qu’ils ont chacun une approche différente. Nell et Fen s’intègrent à la vie quotidienne des populations qu’ils étudient – elle en notant les moindres faits dans une démarche scientifique rigoureuse, lui en s’immergeant totalement dans la culture des indigènes. À l’inverse, Bankson préconise l’observation à distance afin de ne pas fausser les résultats de leurs études.

Les failles de chacun sont exacerbées par la violence de la nature, par la maladie qui rôde et par les rituels fascinants de ces tribus. Le travail d’équipe se transforme bientôt en un triangle amoureux, jusqu’au drame final où la frontière entre les chercheurs et leurs sujets d’étude devient perméable.

De la vie de la célèbre anthropologue Margaret Mead, qui a séjourné en 1933 sur les rives du Sepik avec en compagnie de Reo Fortune et Gregory Bateson, Lily King a tiré un récit d’aventures anthropologiques à l’atmosphère envoûtante, et quelque peu dérangeant. À sa lecture, on se demande s’il y a autant de différences qu’on le prétend entre les mœurs de ces lointaines peuplades et nos comportements à nous, les Occidentaux…

apaise le temps

Roubaix, une librairie qui périclite dans cette ville du nord sinistrée.

La propriétaire, Madame Yvonne, meurt sans héritiers et lègue son bien à Abdel Duponchelle qu’elle a connu enfant. C’est un solitaire dont les origines métissées sont mal supportées par ses condisciples. Madame Yvonne a si bien pansé ses blessures grâce à la littérature qu’il est devenu professeur de français.

Abdel est donc sur le point de devenir libraire. Il n’est pas seul, un groupe multiculturel l’entoure. Il y a là Zita, la vendeuse d’ascendance albanaise ; Saïd algérien analphabète auquel Georges, le père d’Yvonne, a appris à lire ; Zerouane, le harki que Georges a aidé, comme d’autres, en étant pour eux écrivain public.

Ce dernier, bien inséré dans la société, a pour projet de créer une association culturelle dont le but est de « relier » des familles que la misère a dissociées, avec l’aide de Rosa l’assistante sociale.

En triant les archives de Madame Yvonne – celle-ci, avant de reprendre la librairie à la mort de son père dans les années 60, se destinait au métier de photographe –, Abdel exhume de nombreux clichés de la guerre d’Algérie. Or, le FNL, le MNA , l’OAS et leurs luttes font partie du passé des protagonistes de cette histoire.

La lecture des 100 pages de ce petit roman ou de cette longue nouvelle est un bonheur. La tendresse avec laquelle l’auteur nous parle de ses personnages, les liens d’entraide qui les unit, l’amour de la littérature qui les relie, le regard lucide mais non désespéré sur l’histoire et la société actuelle, sont autant d’éléments qui tranchent avec la production littéraire actuelle.

La jeune épouse

la jeune épouse

C’est à un conte érotico-philosophique que nous convie Alessandro Baricco dans son dernier roman.

Une jeune fille de 18 ans arrive dans une famille italienne pour en épouser le fils. Celui-ci est absent. Ils se sont connus enfants et promis l’un à l’autre dès qu’ils seraient en âge de se marier.
Etrange famille que celle où arrive la jeune épouse et où elle va attendre l’arrivée de son promis. Chacun, comme dans un jeu des 7 familles, y est désigné par sa fonction – le père, la mère, le fils, la fille, l’oncle, la jeune épouse –, à l’exception de Modesto, le majordome. Chaque matin, il réveille un par un les membres de la famille par une annonce météorologique, avant de leur servir un petit déjeuner fastueux auquel ils participent selon leurs désirs ou leurs besoins, et ce jusqu’au milieu de l’après midi.

Le début de ce roman est déconcertant, et même irritant : changements de narrateur, difficulté à s’identifier aux personnages, écriture précieuse, sans parler de l’importance des scènes érotiques quoique n’étant en rien de pornographiques.
Et puis, à la page 62, l’écrivain intervient dans son roman pour dire ce qui vient de lui être reproché. Rien de tel que cette intervention pour créer une connivence entre l’auteur et son lecteur et faciliter la suite de la lecture. On se laisse alors prendre à cette histoire d’amour, d’initiation – décrite avec délicatesse –, de mort, entrecoupée par l’intervention de l’écrivain qui nous « initie » au métier d’écrivain.

Un beau roman qui mérite qu’on s’accroche un peu.

Les étoiles s’éteignent à l’aube

les étoiles s'éteignent à l'aube

Richard WAGAMESE appartient à la nation amérindienne ojibwé originaire du Nord-Ouest de l’Ontario.  Il a déjà écrit une dizaine de livres et son dernier roman  est le premier à être traduit en français.

C’est l’histoire d’une longue marche, dans le grand Nord canadien, d’un fils et de son père mourant. Franklin et Eldon ne se connaissent pas. Franklin a été élevé par un vieil homme qui lui a appris le travail de la ferme. Son père, alcoolique, n’a fait que de brèves apparitions dans sa vie. Cependant, il lui demande de le conduire au cœur de la montagne afin d’y mourir et d’y être enterré assis, comme les guerriers objiwés dont ils sont les descendants.

C’est la rencontre tardive de ces deux hommes, avec l’évocation du passé, de la pauvreté, du travail saisonnier toujours mal payé. Et puis il y a les non-dits, les blessures, les remords noyés dans l’alcool, la haine de soi du père, la colère du fils….

D ‘une écriture sobre et concise , Richard WAGAMESE nous plonge dans ce récit d’un ultime voyage au sein d’une nature sauvage et de vies rudes.
Un roman qui se lit d’une traite et avec beaucoup d’émotion.

N’approchez pas de l’île Dawson

ile Dawson

Guide de haute montagne et cameraman, Denis Ducroz, fort de ses expériences en tant que cinéaste, nous propose ici un premier roman dont l’action se passe en Patagonie Chilienne à l’époque de la dictature de Pinochet.

Une poignée d’aventuriers embarque sur un voilier pour explorer les montagnes australes et gravir le Cerro del Viento, un sommet jamais atteint. Narré par un cinéaste, nous suivons sa caméra dans le huis clos du voilier, nous subissons avec eux le vent, le froid, la violence des courants à travers les entrelacs des canaux, d’île en île, jusqu’à ce que le voilier accoste près d’une épave où l’on découvre deux rescapés. On apprend alors que ce sont deux évadés de l’île Dawson, une prison pour les opposants au régime du Général Pinochet. Cette découverte va engendrer une discorde entre les passagers du voilier partagés entre la perspective de  poursuivre leur route pour réaliser leur exploit ou de porter secours aux naufragés. Le récit vire ensuite au thriller lorsque le voilier est accosté par une vedette de la marine chilienne dont l’inquiétant officier va jouer de son autorité pour intimider les passagers du voilier. Que va-t-il se passer ? Quel sera le sort des évadés ?  celui de l’expédition ?

Vous le saurez en lisant ce livre à l’écriture plaisante, un vrai souffle d’aventure