Archives de catégorie : Coups de coeur

HISTOIRE D’UN FILS

Marie-Hélène Lafon réussit le prodige de nous raconter, en 180 pages, une saga familiale qui s’étend sur une frise chronologique allant de 1908 à 2008. L’auteur fait d’habiles allers-retours dans le temps et nous tricote ainsi un roman passionnant.

Au centre de cette saga, il y a un fils né de père inconnu et de Grabrielle, une femme de caractère, avertie, infirmière, émancipée à la vie parisienne, libre. À 37 ans, Gabrielle entretient une relation avec un homme de 21 ans. Du fruit de cette aventure naîtra donc André.
Ce bébé va être confié sans préavis à sa tante Hélène enracinée dans le Cantal, avec ses trois filles et son mari Léon. Ce couple va devenir une figure d’attachement  pour cet enfant. Il est aimé, choyé comme un fils légitime. Ils sont généreux, magnanimes, porteurs de vie, d’amour et les relations entre les deux soeurs se déroulent bien. Gabrielle revient périodiquement voir son fils sans jamais vivre avec.
Pourtant, André va éprouver un manque et chercher à comprendre, à connaître l’identité de son géniteur, mais il n’ira pas jusqu’au bout. Son fils Antoine parviendra à  démêler les noeuds….car la mémoire de la douleur de son père est devenue sa question à régler.
Antoine  bouclera l’histoire à Chanterelle, dans le Cantal, d’où Marie-Hélène Lafon est originaire. Elle parle encore et toujours de son pays, de sa terre.

Marie-Hélène Lafon est une autrice expérimentée, avec déjà treize romans à son actif. Elle est très appréciée des amateurs d’une langue pure et riche, de phrases denses et tout en nuances.
Elle nous livre ici un magnifique roman sur l’absence, la filiation, les secrets de famille, le poids du passé qui ressurgit et qui affecte profondément si on ne réussit pas à mettre des mots sur des non-dits.

NATURE HUMAINE

 

 

La tempête menace la France en ces derniers jours de 1999. Alexandre, reclus dans sa ferme du Lot s’apprête à commettre une énorme bêtise sans se douter que les vents qui approchent bouleverseront ses plans et plus encore.
Au fil des heures il se remémore les années passées sur la ferme familiale depuis  1976, l’année de la grande sécheresse : son père qu’il seconde avant de prendre sa suite, les vaches qu’il élève en tradition, ses sœurs qui partent à la ville et Constanze, l’étudiante allemande qui a tout à la fois enchanté et détruit sa vie.

Dans ce roman, Serge Joncour nous fait revivre presque trente ans d’histoire nationale : l’exode des paysans vers les villes, les luttes anti-nucléaires, l’élection de Giscard puis de Mitterrand, les transformations de notre société, les premiers « Mammouth » et les téléphones en bakélite. Alexandre est un personnage attachant. Nous le voyons grandir, réfléchir, s’insurger contre les transformations du monde paysan et le romantisme de son histoire d’amour avec Constanze nous émeut.

L’écriture au rythme enlevé est empreinte de poésie et de tendresse pour décrire la transformation de nos campagnes et nous faire prendre conscience des périls qui menacent notre humanité.
Un roman rétrospectif d’une grande force narratrice qui mêle avec bonheur petite et grande histoire.

 

 

 

 

 

Le Flambeur de la Caspienne

 

 

Quittant l’Afrique de ses précédentes enquêtes, Aurel Timescu, le Consul imaginé par Jean-Christophe RUFIN, nous entraîne cette fois à la découverte de l’Azerbaïdjan et de la ville de Bakou. Aurel n’imaginait pas qu’il tomberait amoureux de la ville où il avait été affecté. Il ne pouvait non plus imaginer que l’Ambassadeur le prendrait en grippe et demanderait son renvoi. Est-ce dû à sa réputation d’empêcheur de tourner en rond ou craint-on qu’il découvre pourquoi l’Ambassadrice est morte ? Peut-on croire à un banal suicide ?

Se fiant à ses intuitions et aidé de la Consule Amélie qui partage ses soupçons, Aurèle va mener avec succès l’enquête qui rétablira la vérité. Nous découvrons ainsi, une communauté diplomatique aussi étonnante que le personnage principal. Aurèle nous entraînera même jusqu’au Brésil au fil d’une quête bien documentée qui montre les dangers que représente pour un représentant consulaire l’emprise de certains hommes d’affaires dont il pourrait menacer les intérêts, ici ceux de l’argent facile du pétrole qui coule à flots.

A la suite de son anti-héros, burlesque et amoureux du Tokay, l’auteur, qui avoue aimer « écrire des polars ensoleillés » nous entraîne dans une aventure savoureuse et pleine de rebondissements. Laissez-vous tenter sans plus tarder.

LE BAL DES OMBRES

On n’entre pas d’emblée dans le dernier livre de cet écrivain irlandais.Mais persévérez, vous serez vite charmé, emporté et même envoûté par ce roman foisonnant.

O’Connor s’inspire d’une histoire vraie.Trois personnages centraux, trois amis, Bram STOKER, journaliste, écrivain en mal d’inspiration et futur auteur de Dracula, Henry IRVING, célèbre acteur shakespearien et Ellen TERRY, une comédienne vedette que l’on a surnommée la Sarah BERNHARDT anglaise.

Ce trio nous entraîne à la fin du 19ème siècle dans l’univers du théâtre londonien. On découvre la vie artistique et intellectuelle de Londres, les coulisses du Théâtre, l’atmosphère trouble des rues londoniennes, on croise rapidement Oscar Wilde mais également l’ombre de Jack l’Eventreur.

Récit romanesque et historique, alternant habilement réalité et fiction, mélangeant les genres, évoquant les difficultés de la création.Récit ne manquant ni d’émotion ni d’humour.Un beau moment de lecture.

LES RIVAGES DE LA COLÈRE

Quand l’Île Maurice accéda à son indépendance vis-à-vis de la Grande-Bretagne en 1968, les îles Chagos  furent sacrifiées et vendues aux Anglais par le nouveau gouvernement. Les Anglais, prétendant que ces îles n’étaient pas habitées, les louèrent aux Américains qui voulaient faire de la plus grande d’entre elles, l’île de Diego Garcia, une base militaire stratégique dans l’océan indien.
En réalité, les habitants ont été expulsés brutalement de leur paradis. Ils ont été déportés vers l’île Maurice, dans des bidonvilles à la périphérie de la capitale Port-Louis, ou vers les Seychelles.

Caroline Laurent nous plonge dans ce drame historique méconnu à travers l’histoire d’un amour impossible entre Gabriel, un jeune Mauricien blanc et secrétaire de l’administrateur colonial, et Marie-Pierre Ladouceur, une Chagossienne noire et analphabète. Les déchirements, l’exil, la colère, la révolte ne sont pas seulement ceux des personnages, très attachants, de ce beau roman. Ce sont aussi ceux de toutes les générations de Chagossiens qui se battent, aujourd’hui encore, pour obtenir justice, mais qui n’ont jamais pu retourner sur leur île, même s’ils ont obtenu des éléments de reconnaissance pour le traitement violent et illégal qu’ils ont subi.

Caroline Laurent, d’origine Mauricienne, s’est emparée de leur colère. Elle a mis sa plume au service de cette histoire qu’elle connaît depuis l’enfance et le résultat est ce roman au souffle romanesque d’autant plus puissant qu’il est porté par un sentiment d’injustice sincère et par une saine colère.

LA FEMME REVELEE

 

 

Comme elle l’avait fait dans « La part des flammes », où un drame permettait à ses héroïnes de s’émanciper, Gaëlle Nohant nous raconte ici l’histoire d’une américaine qui a tout quitté pour retrouver une liberté perdue.

Fuyant un mari devenu un marchand de sommeil prêt à tout pour s’enrichir, Eliza se réfugie à Paris avec son Rolleiflex et la photo de son fils et devient Violet. Dépouillée de toutes ressources elle doit se réinventer. Son Rolleiflex qui ne la quitte jamais lui fait découvrir la ville à travers son objectif et lui ouvre le cœur de ses modèles :

« Je photographie cette larme qui glisse sur la joue de Rosa …mes clichés sont des gifles dans la lumière crue. »

Au fil des rencontres elle trouve un job de garde d’enfants, apprivoise la ville, tisse des amitiés sincères et se laisse entraîner par une passion amoureuse qui lui révèlera bien des surprises. Mais comment vivre traquée, hantée par le souvenir de son fils ? Vingt ans plus tard, au printemps 1968, Violet revient enfin à Chicago dans une ville agitée par le mouvement des droits civiques, l’opposition à la guerre du Vietnam et l’assassinat de Martin Luther King. Forte de ses expériences, photographe reconnue, saura-t-elle reconquérir le cœur de son fils ?

D’une écriture sensible et vibrante, Gaëlle Nohant nous dévoile une héroïne en route vers la liberté et la modernité, révélation qui fait écho à celle d’une photo.

DANS LES GEÔLES DE SIBERIE

En 2015, un matin, à Irkoutsk, près du lac Baïkal, un Français, directeur de l’Alliance Française : Yoann Barbereau est arrêté sans explication par des hommes cagoulés.Incarcéré dans les geôles de Sibérie, puis mis en résidence surveillée il s’évadera.

Retenu à l’ambassade de Moscou, il réussira à nouveau à s’évader.Ce récit incroyable se lit comme un roman d’aventures, témoignage sur la vie en prison mais aussi récit rocambolesque de ses évasions.

L’auteur assure n’avoir rien inventé.Il donne à voir une face bien sombre de la police et du système pénitentiaire russe et la faiblesse de la diplomatie française. A lire sans attendre

LES ALTRUISTES

Ce premier roman d’un jeune auteur américain de 28 ans combine la saga familiale et l’humour dans un genre qui fait penser à Philip Roth à ses débuts ou, dans le domaine cinématographique, à Woody Allen.

Les Alter — le père, la mère et leurs deux enfants — sont des universitaires juifs de la classe moyenne américaine. Le roman s’ouvre sur l’incendie de leur maison à St louis, alors qu’Ethan et Maggie sont adolescents.
Dès le second chapitre, les années ont passé. Francine, la mère, est morte, et chaque enfant fait son deuil à sa manière.

Les aller-retours entre le passé et le présent permette à l’auteur d’approfondir l’histoire de cette famille dysfonctionnelle et névrotique, et de croiser la jeunesse de ses héros. Ce procédé peut dérouter le lecteur si la lecture n’est pas continue.
Tous, à un moment de leur vie, ont fait preuve d’un certain altruisme, même si les qualifier d’altruistes est à prendre au second degré; ils sont humains, simplement….

Les avis sur cette comédie grinçante seront sûrement partagés. Pour ma part, ce premier roman m’a beaucoup amusée.

 

LA MER A L’ENVERS

 Rose, psychologue et thérapeute, et ses enfants Gabriel et Emma profitent d’une croisière qu’on leur a offert. Une nuit, entre l’Italie et la Lybie, l’immense paquebot croise la route d’un bateau de migrants et les accueille à bord. Rien ne prédestinait Rose à croiser la route de Younès mais, interpellée par la détresse de ces voyageurs, elle répond à la demande du garçon et lui offre le téléphone de son fils. C’est le début d’une relation aux conséquences imprévisibles.

Comme Younès, Rose est à la croisée des chemins. La vie parisienne ne convient plus à leur couple qui s’interroge et elle tente un nouveau départ en retournant dans une maison familiale à Clèves, au Pays Basque. Elle hésite à répondre aux appels de Younès mais finira par aller le chercher à Calais pour le ramener chez elle, le soigner et l’aider. « We can be heroes just for one day” dit la chanson. C’est en trouvant le courage de prendre le risque de l’accueil que Rose réussira sa reconstruction.

Marie Darieussecq nous offre là une comédie d’aujourd’hui, agréable à lire avec une écriture simple aux phrases courtes et percutantes. Le titre du livre joue sur les mots en opposant la mer qui rejette et la mère qui sauve. L’actualité qu’elle s’approprie nous interroge : saurions-nous être cette mère ?

 

 

 

NOUS AURONS ÉTÉ VIVANTS

Un arrêt de bus, une silhouette et le passé revient en boomerang. Comment peindre l’absence sans en connaître les causes ? Voilà sept ans que Lorette est partie en laissant Hannah au bord du gouffre. Laurence Tardieu nous décrit les affres de cette mère esseulée. Elle effleure ses sentiments, ses ressentis dans un style fluide qui rythme les non-dits, le temps qui passe et ne reviendra plus.

Dans la deuxième partie du roman, Hannah remonte le temps, celui de sa vie auprès de Lorette et de son mari. On découvre les failles d’une famille, ses secrets, ses ombres … En troisième partie, Hannah, en réconfortant son amie Lydie découvre que « toute vie humaine est en fin de compte l’accumulation des mêmes expériences de joies et de douleur ».

Le style de Laurence Tardieu, tout en douceur, dépasse la mélancolie. L’espoir renaît : Hannah a de nouveau envie de peindre, demain ce sera l’aurore.