Archives de catégorie : Coups de coeur

L’ÉTÉ OÙ TOUT A FONDU

Eté 1984 dans une bourgade de l’Ohio. Le procureur ,hanté par le bien et le mal, invite le diable à lui rendre visite. Sal, un jeune garçon de 13 ans débarque. Il est en guenilles, a la peau noire, des yeux vert émeraude, une intelligence hors du commun. Il se présente comme le diable. Il est adopté par la famille du procureur, devient l’ami de son fils Fielding, et admire le grand frère Grand.

Une série de catastrophes et de tragédies s’abat sur la ville au cours de cet été là, à commencer par une vague de chaleur infernale. Les esprits s’échauffent, Sal sera vite tenu pour responsable de toutes les calamités. Sa couleur de peau et son comportement singulier vont déclencher des réactions d’une extrême violence

Tiffany McDaniel (autrice de « Betty ») développe ici les grands thèmes récurrents de son œuvre : le racisme, l’intolérance, le repli sur soi dans les petites villes américaines. Ce roman  est noir, mais la poésie et l’imagination, la manière de raconter de l’écrivaine nous emportent avec un souffle puissant,  suffoquant parfois.

« L’été où tout a fondu » assurément vous laissera enfiévré.

LA VIE CLANDESTINE

Au début de ce roman, Monica Sabolo enquête sur les membres du groupuscule Action Directe. En 1986,Georges Besse est froidement abattu devant chez lui par deux jeunes femmes qui l’attendent sur un banc. Que cherchaient-elles, comment en sont elles arrivées là ?

Au fil de son enquête, la romancière tisse des associations d’idées et d’émotions, et peu à peu glisse vers sa propre vie familiale pleine de silences, de secrets, de violence. Son écriture  délicate et hardie nous embarque alors dans un dédale de questions sans réponses, de doutes, de vides et d’impasses.

Les membres d’Action Directe, mus par une idéologie prônant la lutte contre les injustices engendrées par le système capitaliste commettent crimes et actes de violence. Un père animé de sentiments et de tendresse paternelles dérape dans son comportement. Un haut fonctionnaire  s’implique dans  des trafics illicites et des activités troubles.

Comment, petit à petit, arrive-t-on à commettre l’irréparable ? Peut-on pardonner, qui plus est quand aucun regret, aucun remord n’a été prononcé ? Qui peut se permettre de pardonner ?Peut-on sortir de la clandestinité et transformer les blessures profondes qui semblent à jamais irréparables ?

Ce  texte très personnel oscille entre récit, enquête et autobiographie. C’est un passionnant et lumineux  travail de mémoire qui cherche à  sortir du silence afin de pouvoir poursuivre la route, apaisée.

MOURIR AVANT QUE D’APPARAÎTRE

Le titre de ce court récit est extrait du poème de Jean Genet Le Funambule. L’auteur nous fait vivre la rencontre qui eût lieu, dans les années 50, entre Abdallah, un jeune acrobate du cirque Pinder qui ne sait ni lire ni écrire et Jean Genet, coqueluche du Tout-Paris littéraire. Leur aventure amoureuse et leur admiration réciproque donnera à Genêt l’idée de façonner Abdallah, comme s’il s’agissait d’une œuvre d’art, pour en faire un funambule à succès. Mais jusqu’où Abdallah est-il prêt à aller pour l’amour de Genêt ? Ne prend-il pas trop de risques ?

À travers la métaphore du funambule, l’auteur nous invite à une réflexion sur l’emprise, sur la prise de risque dans la vie et à une promenade dans le milieu littéraire.

Une histoire tragique racontée de façon lumineuse et portée par un vrai souffle romanesque. À découvrir.

Sans plus attendre

Si l’épopée d’Ulysse est connue, que sait-on de son épouse Pénélope? Qu’elle voulait échapper aux prétendants voulant remplacer son époux et que pour ce faire elle filait le jour et défaisait son ouvrage la nuit.

Mais, qui était-elle outre l’épouse d’Ulysse, que pensait elle, comment se sont déroulées ces nombreuses années d’absence du héros ? C’est à rentrer dans l’intimité de cette femme que nous convie dans ce court roman Sylvie Durastanti.

C’est d’abord par son style, avec de longue phrases , que l’auteur nous plonge dans l’attente. L’envers de l’épopée d’Ulysse nous est racontée par deux femmes: Pénélope et Eri ,l’esclave qui a élevé Ulysse et mis au monde son fils. Nous cheminons dans leurs pensées et à travers leurs pensées suivons l’attente de Pénélope et l’histoire d’Ulysse.

De magnifiques descriptions des paysages de cette ile grecque, ensoleillée et ombragée par les chênes verts les lauriers, emplie des senteurs de thyms et autres romarins , et cette mer si fascinante et redoutable….

Ce court roman est à lire en prenant le temps de savourer.

LES ABEILLES GRISES

Avec son talent de conteur, Andreï Karkov nous plonge dans le conflit installé en Ukraine depuis sept ans. La vie dans cette zone grise du Donbass, si elle est faite de peur, recèle aussi des moments d’entraide, de joies et de poésie où les personnages apportent l’espoir par leur bonté et leur humour.

Serguéï vit dans l’est du pays, dans un petit village de la « zone grise » du Donbass. Un seul voisin est resté avec lui au village où il n’y a plus d’électricité mais Serguéï n’envisage pas pour autant de vivre ailleurs que chez lui. Il est apiculteur et ses abeilles sont au centre de sa vie. Au printemps, il charge ses ruches dans sa vieille voiture et part à la recherche de prairies où elles pourront butiner. Commence alors un périple qui le conduira plus loin que prévu. La sagesse de ses abeilles saura l’apaiser et l’aider à affronter les difficultés rencontrées.

Sans se soucier de grandes considérations politiques, ce roman nous plonge avec humanité au cœur des évènements en cours, un roman d’actualité au vu des tensions actuelles entre Kiev et Moscou.

Andreï Kourkov est né en Russie en 1961 et vit à Kiev depuis de très nombreuses années. Très doué pour les langues (il en parle couramment six), il débute sa carrière littéraire pendant son service militaire alors qu’il est gardien de prison à Odessa. Son premier roman, Le Pingouin, remporte un succès international. Son œuvre est aujourd’hui traduite en 36 langues. Les Abeilles grises est son dixième roman publié en France.

REINE DE COEUR

 

Dans la lignée de  son roman «  Ame brisée » (Prix des Libraires 2020), Akira Mizubayashi nous entraine une fois encore dans un univers où la musique se mêle aux atrocités de la guerre. Cette fois, « Reine de Cœur » nous raconte l’histoire chaleureuse et émouvante d’un jeune couple que les hasards de la vie va réunir à la recherche de leurs grands-parents séparés par la guerre sino-japonaise de 1938.

On entre dans ce livre par une scène brutale qui imprimera son empreinte sur la vie du jeune Jun, altiste étudiant en musique au Conservatoire de Paris, qui a été contraint de regagner le Japon pour être plongé bien  malgré lui dans les atrocités de la guerre.

Bien des années plus tard, Mizuné, jeune altiste française au début de sa carrière, est troublée par la lecture d’un roman qui ressemble tant à l’histoire de ses grands-parents. ! Elle fera la connaissance d’Otto venu lui aussi du Japon et sa quête de la vérité la mènera de surprise en surprise jusqu’à ce grand-père inconnu, altiste comme elle.

Si certaines scènes nous entraînent dans les exactions commises au nom de l’Empereur par les troupes japonaises présentes en Chine, l’auteur nous livre aussi de sublimes pages sur l’interprétation de la Huitième symphonie de Chostakovitch où il décèle la prégnance de la guerre. Nous retrouvons là l’amour de la musique qu’il sait nous faire partager avec, comme fil rouge, des œuvres de Strauss et Chostakovitch.

Il y a tout dans ce beau livre, l’amour, la guerre, la transmission, thème cher à l’auteur, et, par-dessus tout la musique.

 

 

 

 

LA PATIENCE DES TRACES

Simon, un psychanalyste célibataire et sans enfants, décide un jour de faire une pause. Lui qui passe son temps à écouter les gens raconter leur histoire sait qu’il refuse de laisser émerger les zones douloureuses de sa propre vie : une amitié brisée, un amour gâché, des regrets.
Pour pouvoir tourner la page, il s’installe au Japon, dans un lieu calme et isolé où il est accueilli par un couple d’une grande sérénité – chèrement acquise — et respectueux de toute chose. La découverte du Kintshugi, un art que pratique son hôte, agira sur Simon comme une révélation. Cet art qui consiste à réparer les pots cassés est une invitation non seulement à réparer nos propres blessures, mais à embellir nos cicatrices au lieu de les cacher.

Dans un style aussi dépouillé que le paysage japonais, Jeanne Benameur nous propose une véritable alchimie de la vie. Un petit livre tout en finesse et d’une grande sensibilité poétique, à lire — et à offrir — pour retrouver l’espoir et la joie de vivre.

LE DIT DU MISTRAL

Voici un joli conte, aux parfums de notre enfance, balayé par un mistral ébouriffant.

Nous sommes dans le Lubéron, pour des fouilles archéologiques clandestines qui vont nous faire découvrir des mythes locaux ancestraux.
Les personnages très attachants de ce roman vont nous plonger peu à peu dans l’atmosphère provençale, avec beaucoup de poésie, de jolis proverbes locaux et un peu de magie.
Avec eux nous partons pour une véritable chasse au trésor qui va nous tenir en haleine jusqu’au bout du récit.

Ce  roman très généreux est une ode à l’amitié, à la rêverie, à la transmission. Il nous offre le plaisir de vagabonder quelques heures hors du temps et du chaos du monde.
Quel merveilleux et délicieux  moment de lecture  !

Ton absence n’est que ténèbres

« Ton souvenir est lumière et ton absence ténèbres ». Un homme lit cette phrase sur une pierre tombale au fin fond d’un fjord islandais. Cet homme vient de reprendre conscience dans l’église attenante se rendant compte qu’il est amnésique.

Les gens qu’il rencontre sont heureux de le revoir et tour à tour vont lui raconter l’histoire de leur famille. Le narrateur écrit toutes les histoires qu’il entend au fur et à mesure de ses rencontres.

Ces histoires s’enchaînent donc mêlant les époques et les nombreux personnages. Ce qui semble un peu décousu au départ prend sens : il s’agit de la saga d’une famille islandaise qui a commencé 120 ans auparavant par un article sur les lombrics.

Ecrit et traduit dans une langue poétique. L’auteur, Jon Kalman STEFANSSON, nous parle de mort, de deuils, de vies pauvres et difficiles mais également d’amour et de musique, de lectures, de lumière, de paysages magnifiques. S’y mêlent le passé, le rêve à la réalité d’aujourd’hui et à côté des vivants les morts sont aussi présents. C’est un roman exigeant et merveilleux : à lire absolument.

Ne T’arrête pas de courir

 

Toumany Coulibaly est un sportif de haut niveau, en prison pour braquage.Mathieu Palain est journaliste et romancier.

Ce livre , c’est le récit de leur rencontre : chaque mercredi, pendant deux ans, ils se retrouvent de chaque côté du parloir de la prison. Mathieu Palain, qui s’est beaucoup intéressé au milieu carcéral, cherche à comprendre : pourquoi cet athlète hors normes ne peut-il pas s’arrêter de voler? Peu à peu, ces deux trentenaires, originaires d’une même banlieue, se dévoilent.

Le journaliste s’interroge aussi sur lui-même.

Toumany Coulibaly, originaire du Mali est le 5ème d’une fratrie de dix-huit enfants, a connu la pauvreté, a commencé à voler très jeune, puis a enchainé les infractions.

Histoire vraie qui se lit comme une enquête, portrait vivant, authentique et complexe. C’est aussi l’histoire d’une amitié, un tableau sociologique qui retransmet bien la réalité. A conseiller sans hésiter.

Il a bien mérité le prix Interallié, obtenu en 2021.