Archives de catégorie : Coups de coeur

LES ABEILLES GRISES

Avec son talent de conteur, Andreï Karkov nous plonge dans le conflit installé en Ukraine depuis sept ans. La vie dans cette zone grise du Donbass, si elle est faite de peur, recèle aussi des moments d’entraide, de joies et de poésie où les personnages apportent l’espoir par leur bonté et leur humour.

Serguéï vit dans l’est du pays, dans un petit village de la « zone grise » du Donbass. Un seul voisin est resté avec lui au village où il n’y a plus d’électricité mais Serguéï n’envisage pas pour autant de vivre ailleurs que chez lui. Il est apiculteur et ses abeilles sont au centre de sa vie. Au printemps, il charge ses ruches dans sa vieille voiture et part à la recherche de prairies où elles pourront butiner. Commence alors un périple qui le conduira plus loin que prévu. La sagesse de ses abeilles saura l’apaiser et l’aider à affronter les difficultés rencontrées.

Sans se soucier de grandes considérations politiques, ce roman nous plonge avec humanité au cœur des évènements en cours, un roman d’actualité au vu des tensions actuelles entre Kiev et Moscou.

Andreï Kourkov est né en Russie en 1961 et vit à Kiev depuis de très nombreuses années. Très doué pour les langues (il en parle couramment six), il débute sa carrière littéraire pendant son service militaire alors qu’il est gardien de prison à Odessa. Son premier roman, Le Pingouin, remporte un succès international. Son œuvre est aujourd’hui traduite en 36 langues. Les Abeilles grises est son dixième roman publié en France.

REINE DE COEUR

 

Dans la lignée de  son roman «  Ame brisée » (Prix des Libraires 2020), Akira Mizubayashi nous entraine une fois encore dans un univers où la musique se mêle aux atrocités de la guerre. Cette fois, « Reine de Cœur » nous raconte l’histoire chaleureuse et émouvante d’un jeune couple que les hasards de la vie va réunir à la recherche de leurs grands-parents séparés par la guerre sino-japonaise de 1938.

On entre dans ce livre par une scène brutale qui imprimera son empreinte sur la vie du jeune Jun, altiste étudiant en musique au Conservatoire de Paris, qui a été contraint de regagner le Japon pour être plongé bien  malgré lui dans les atrocités de la guerre.

Bien des années plus tard, Mizuné, jeune altiste française au début de sa carrière, est troublée par la lecture d’un roman qui ressemble tant à l’histoire de ses grands-parents. ! Elle fera la connaissance d’Otto venu lui aussi du Japon et sa quête de la vérité la mènera de surprise en surprise jusqu’à ce grand-père inconnu, altiste comme elle.

Si certaines scènes nous entraînent dans les exactions commises au nom de l’Empereur par les troupes japonaises présentes en Chine, l’auteur nous livre aussi de sublimes pages sur l’interprétation de la Huitième symphonie de Chostakovitch où il décèle la prégnance de la guerre. Nous retrouvons là l’amour de la musique qu’il sait nous faire partager avec, comme fil rouge, des œuvres de Strauss et Chostakovitch.

Il y a tout dans ce beau livre, l’amour, la guerre, la transmission, thème cher à l’auteur, et, par-dessus tout la musique.

 

 

 

 

LA PATIENCE DES TRACES

Simon, un psychanalyste célibataire et sans enfants, décide un jour de faire une pause. Lui qui passe son temps à écouter les gens raconter leur histoire sait qu’il refuse de laisser émerger les zones douloureuses de sa propre vie : une amitié brisée, un amour gâché, des regrets.
Pour pouvoir tourner la page, il s’installe au Japon, dans un lieu calme et isolé où il est accueilli par un couple d’une grande sérénité – chèrement acquise — et respectueux de toute chose. La découverte du Kintshugi, un art que pratique son hôte, agira sur Simon comme une révélation. Cet art qui consiste à réparer les pots cassés est une invitation non seulement à réparer nos propres blessures, mais à embellir nos cicatrices au lieu de les cacher.

Dans un style aussi dépouillé que le paysage japonais, Jeanne Benameur nous propose une véritable alchimie de la vie. Un petit livre tout en finesse et d’une grande sensibilité poétique, à lire — et à offrir — pour retrouver l’espoir et la joie de vivre.

LE DIT DU MISTRAL

Voici un joli conte, aux parfums de notre enfance, balayé par un mistral ébouriffant.

Nous sommes dans le Lubéron, pour des fouilles archéologiques clandestines qui vont nous faire découvrir des mythes locaux ancestraux.
Les personnages très attachants de ce roman vont nous plonger peu à peu dans l’atmosphère provençale, avec beaucoup de poésie, de jolis proverbes locaux et un peu de magie.
Avec eux nous partons pour une véritable chasse au trésor qui va nous tenir en haleine jusqu’au bout du récit.

Ce  roman très généreux est une ode à l’amitié, à la rêverie, à la transmission. Il nous offre le plaisir de vagabonder quelques heures hors du temps et du chaos du monde.
Quel merveilleux et délicieux  moment de lecture  !

Ton absence n’est que ténèbres

« Ton souvenir est lumière et ton absence ténèbres ». Un homme lit cette phrase sur une pierre tombale au fin fond d’un fjord islandais. Cet homme vient de reprendre conscience dans l’église attenante se rendant compte qu’il est amnésique.

Les gens qu’il rencontre sont heureux de le revoir et tour à tour vont lui raconter l’histoire de leur famille. Le narrateur écrit toutes les histoires qu’il entend au fur et à mesure de ses rencontres.

Ces histoires s’enchaînent donc mêlant les époques et les nombreux personnages. Ce qui semble un peu décousu au départ prend sens : il s’agit de la saga d’une famille islandaise qui a commencé 120 ans auparavant par un article sur les lombrics.

Ecrit et traduit dans une langue poétique. L’auteur, Jon Kalman STEFANSSON, nous parle de mort, de deuils, de vies pauvres et difficiles mais également d’amour et de musique, de lectures, de lumière, de paysages magnifiques. S’y mêlent le passé, le rêve à la réalité d’aujourd’hui et à côté des vivants les morts sont aussi présents. C’est un roman exigeant et merveilleux : à lire absolument.

Ne T’arrête pas de courir

 

Toumany Coulibaly est un sportif de haut niveau, en prison pour braquage.Mathieu Palain est journaliste et romancier.

Ce livre , c’est le récit de leur rencontre : chaque mercredi, pendant deux ans, ils se retrouvent de chaque côté du parloir de la prison. Mathieu Palain, qui s’est beaucoup intéressé au milieu carcéral, cherche à comprendre : pourquoi cet athlète hors normes ne peut-il pas s’arrêter de voler? Peu à peu, ces deux trentenaires, originaires d’une même banlieue, se dévoilent.

Le journaliste s’interroge aussi sur lui-même.

Toumany Coulibaly, originaire du Mali est le 5ème d’une fratrie de dix-huit enfants, a connu la pauvreté, a commencé à voler très jeune, puis a enchainé les infractions.

Histoire vraie qui se lit comme une enquête, portrait vivant, authentique et complexe. C’est aussi l’histoire d’une amitié, un tableau sociologique qui retransmet bien la réalité. A conseiller sans hésiter.

Il a bien mérité le prix Interallié, obtenu en 2021.

 

 

La Porte du voyage sans retour

Dans son roman, La porte du voyage sans retour, David Diop s’inspire des carnets d’un botaniste, Michel Adanson, envoyé au Sénégal de 1749 à 1754 pour y étudier la flore et la faune pour le Jardin du Roy à Paris.

Au début du roman, nous sommes en 1806 et Michel Adanson se meurt veillé par sa fille. Toute sa vie a été consacrée à ses recherches et son but de publier une encyclopédie qui ne verra pas le jour. Souhaitant transmettre le récit de sa vie à sa fille il lui lègue des carnets cachés dans un meuble : elle devra les découvrir pour mieux le connaître.

Michel Adanson a 23 ans quand il arrive au Sénégal. Il va apprendre le wolof pour communiquer et mener à bien ses recherches. Intrigué par l’histoire d’une jeune femme qui aurait échappé à l’esclavage, il va partir à sa recherche et il en tombera amoureux. Cela va l’entraîner dans des aventures qu’il aurait eu peine à imaginer. Il ne réussira pas à sauver Maram dont le souvenir le hantera toute sa vie.

Ce roman d’amour et de transmission nous est conté dans un style modelé par le français du 18ème siècle pour décrire les paysages exotiques et les destins qui se juxtaposent.

A rebours des interdits actuels, David Diop ne craint pas d’utiliser le mot « nègre » ainsi que les noirs étaient désignés au 18ème siècle. Ce qui l’intéresse c’est de placer son personnage des Lumières, avec ses idéaux humanistes, au moment où l’esclavage culmine. Adanson reconnaît aux gens qui ne sont pas européens un SAVOIR. Il va étudier et parler le wolof et tomber amoureux d’une négresse et cependant une fois revenu en France il ne luttera pas contre l’esclavage et se laissera reprendre par sa passion pour la botanique.

Ce roman est un beau voyage en terre d’Afrique entre l’histoire de la belle Maram et de Adanson avec en toile de fond la blessure de l’esclavage.

David Diop est né à Paris en 1966. Il a passé sa jeunesse au Sénégal puis il a fait ses études en France. Actuellement il est maître de conférences en littérature à l’Université de Pau. En 2018 il a obtenu le Prix Goncourt des Lycéens pour « Frère d’âme » qui  obtiendra aussi le prestigieux prix anglais du Man Booker Prize, c’est le premier écrivain français à obtenir ce prix.

 

S’il n’en reste qu’une

Rachel,  journaliste australienne, part au Kurdistan Irakien pour faire un reportage sur les combattantes kurdes qui ont lutté contre Daesh et contre les islamistes turcs.
Au cimetière de Kobané, elle découvre que dans une même tombe  sont enterrées deux de ces combattantes : Tekochine et Gulistan. Intriguée, Rachel va enquêter et découvrir l’histoire d’une amitié folle entre ces deux femmes, combattantes au sein d’un même bataillon féminin, leur destin romanesque et mystérieux.

Le roman est construit comme une fresque épique en trois actes, qui nous mène aux frontières les plus extrêmes de l’absolu.
Au-delà d’une première lecture qui  décrit le courage et la force incroyables des combattantes contre Daesh, où leurs âmes sont mises à nu, c’est un livre sur le combat pour la liberté, le choix entre défendre son corps et défendre son âme de nos jours, mais aussi dans toutes les époques. Que peut-il y avoir en l’Homme dans sa condition humaine portée aux extrêmes ?

Partice Franseschi – qui s’est engagé auprès des combattantes Kurdes depuis le début de la guerre-  ne s’est pas interdit le suspens pour nous livrer un roman puissant, féminin et féministe.

S’ADAPTER

Ce roman d’une infinie délicatesse,  raconte les bouleversements causés par l’arrivée d’un enfant lourdement handicapé dans une famille.
Les pierres du mur de la maison Cévenole où vit cette famille sont les témoins qui racontent avec justesse l’attention et l’empathie du grand frère pour cet enfant, la révolte et la colère de la cadette, la difficulté à trouver sa place pour le petit dernier, né après le décès de l’enfant.
Chacun s’adapte avec ses émotions, tous les sens sont en éveil, en symbiose avec la rude et belle montagne Cévenole.

Sur un thème très peu abordé par la littérature, Clara Dupont-Monod nous livre  un texte d’une très grande sensibilité, tout en pudeur et en poésie, d’une justesse profondément touchante.

LA MALÉDICTION DE L’INDIEN

Mai 1902, une catastrophe terrible survient en Martinique : l’éruption de la Montagne Pelée, qui fera 28 000 morts et détruira la ville de Saint Pierre. Outre ce terrible bilan humain, des familles entières ont perdu leurs biens, leurs photos, toutes les archives les concernant.
La population aurait elle pu être évacuée ? De nombreuses rumeurs circulent à ce propos.
Parmi les rescapées, Passion qui avait 10 ans à l’époque, deviendra une belle femme dont la vie romanesque cache de multiples zones d’ombre.
Cent ans après la catastrophe, sa petite-fille s’interroge sur les « fake news »  autour de cette première grande catastrophe naturelle du XXe siècle, et sur les répercussions  traumatiques de ces zones d’ombre sur l’histoire et les destins des descendants de Passion.

Le roman biographique d’Anne Terrier foisonne de réflexions très riches sur les thèmes de la mémoire, de la transmission, des non-dits, du métissage, de l’histoire coloniale de la France…. Passionnant !